Réponse au journal Le Quotidien le 20/10/14 – Dr Alain Fourmaintraux

Bravo au Quotidien pour son numéro sur l’économie (14 octobre 2014). L’illettrisme, ai-je lu, est un des grands obstacles à l’emploi. Selon les économistes consultés, la population réunionnaise comporterait environ 100 000 illettrés. Or, une des causes de l’illettrisme est connue : c’est l’atteinte des cerveaux par l’alcoolisation fœtale 1. Selon les professionnels compétents en la matière, un Réunionnais exposé in utero à l’alcool naîtrait tous les deux jours ; au bout de 20 ans cela fait 3200, au bout de 50 ans 9000. Un peu moins de 10 % des illettrés, c’est beaucoup non ? Pourtant c’est évitable.

L’offre de soins aux 7600 femmes dépendantes (dixit le réseau SAOME), si elle existe bien (CSAPA et réseaux associés), assurée par des soignants compétents, elle ne semble pas pouvoir répondre et de loin à la demande potentielle ( – de 10 % des femmes dépendantes sont suivis par ces services compétents). En effet, selon les sages femmes et les médecins des maternités, la plupart des femmes alcoolisées pendant la grossesse n’accèdent pas aux soins. Cette constatation est partagée par les mères qui ont échappé à leur dépendance. C’est que la faible offre de soins repose en plus sur la démarche volontaire des patients. Or les femmes alcooliques vivent dans la honte, la culpabilité, l’exclusion et l’enfermement. En outre, un bon nombre d’entre elles sont elles-mêmes victimes d’alcoolisation fœtale. Elles sont en pratique incapables de faire les démarches nécessaires et encore moins d’honorer les rendez-vous successifs. Il faut ajouter que le fœtus alcoolisé malgré lui dans le ventre de sa mère ne peut demander un rendez-vous ! En matière de maladie alcoolique de la femme et surtout de la femme enceinte, l’action médicale ne peut fonctionner sans une articulation professionnelle avec l’ action sociale. La convention internationale de la prévention des Troubles Causés par l’Alcoolisation Foetale signée par 35 pays au Canada en 2013 stipule bien que la responsabilité de la prévention de l’alcoolisation fœtale ne doit pas être assumée uniquement par les femmes, que cette prévention est une responsabilité collective et qu’elle doit reposer sur la compassion. Autrement dit, des personnes compétentes en action sociale et féderatrices sont nécessaires, à domicile et à répétition, pour créer des liens de confiance et de réhabilitation, qui seuls permettent de sortir les femmes alcooliques de leur enfermement et de les conduire ainsi que leurs enfants par la main jusqu’aux soins. C’est ce que faisait, avec un succès certain, le cœur de réseau de Réunisaf. Sa réussite est venu d’une volonté collective construite patiemment durant de nombreuses années (1996-2001) par tous les acteurs de proximité (santé, education nationale, social, justice), les familles expertes en expériences et soutenue par un programme régional dédié. L’ARS, en supprimant sans véritable relais en 2012 ce modèle d’organisation et en décretant que l’on pouvait le remplacer du jour au lendemain par des CSAPA déjà surbookés, font faire un retour en arrière de 15 ans, et surtout n’empêche pas la naissance de nombreux bébés cérebroléses dont la route vers l’illétrisme est toute tracée.

Nous appellons donc tous les décideurs à prendre leur responsabilité.
S’ils ont une véritable ambition collective pour La Réunion, ils se doivent d’investir sur ce qui est la véritable richesse de notre société cad l’avenir des enfants et se rassembler pour protéger sans tarder les cerveaux des enfants Reunionnais de ce fléau évitable.

Pour le collectif Reunionnais : Investissons dans l’avenir de nos enfants, protégeons leurs cerveaux

Dr Alain Fourmaintraux Pédiatre, Expert des questions de société liées aux Troubles Causés par l’Alcoolisation Fœtale
Dr Thierry Maillard, Médecin Généraliste, Addictologue
Dr Denis Lamblin, Pédiatre, Expert national de la prévention des Troubles Causés par l’Alcoolisation Fœtale

http://www.lequotidien.re/opinion/le-courrier-des-lecteurs/271696-la-prevention-de-alcoolisation-foetale-une-responsabilite-collective.html

« A la Réunion , il est estimé qu’au moins un enfant tous le 2 jours nait avec un cerveau lésé par l’alcoolisation prénatale.Une partie des malformations, des déficiences mentales, des échecs scolaires, des troubles  du comportement, des troubles psychiatriques, de la  délinquance… et surtout de souffrance pour les individus, les familles et la société pourraient être évités. Le coût  économique pour les besoins spéciaux des populations touchées est estimé à plus de 200 millions d’euros chaque année.