BEH 10-11 | 26 mars 2019
Soumis le 24.09.2018

DU MESSAGE DE PRÉVENTION « ZÉRO ALCOOL PENDANT LA GROSSESSE » À L’ÉCHANGE SINGULIER : LES SOLLICITATIONS DES FEMMES À ALCOOL INFO SERVICE

Laure Laviale (laure.laviale@santepubliquefrance.fr), Karine Grouard

La consommation d’alcool pendant la grossesse, concernant près de 25% des femmes enceintes (Enquête nationale périnatale 2014), expose l’enfant à naître à des troubles graves du développement, appelés troubles causés par l’alcoolisation fœtale (TCAF). Ils sont estimés à 0,48 cas pour 1 000 nais- sances1. Face à cet enjeu de santé publique, les pouvoirs publics mènent des campagnes de préven- tion et d’information des dangers de la consommation d’alcool durant la grossesse depuis 2007, campagnes qui renvoient notamment vers le dispositif Alcool Info Service.

Alcool Info Service est le service d’aide à distance sur la question de l’alcool porté par Santé publique France. Anonyme et confidentiel, il a pour mission d’informer, de soutenir, de conseiller et d’orienter ses publics. Les usagers et leur entourage sollicitent le service par différents médias : par téléphone au 0 980 980 930, ouvert 7 jours sur 7 et de 8 heures à 2 heures, par tchat et par le service de questions- réponses personnalisées via le site www.alcool-in fo-service.fr. Ce site met également à disposition des informations, des conseils et une aide à l’orientation grâce à l’annuaire de l’addictologie

L’objectif de ce focus est de décrire, à partir d’une étude qualitative, les motivations des femmes enceintes ayant consommé de l’alcool à sollicité Alcool Info Service. Cette étude porte sur le corpus des commentaires rédigés de 2014 à 2016 par les écoutants à l’issue de l’entretien téléphonique ou du tchat, ainsi que sur les questions postées par les internautes entre 2014 et 2016 dans l’espace « Vos questions / Nos réponses » du site Internet www.alcool-info-service.fr. Seules les sollicitations faisant l’objet de commentaires exploitables lors des récits d’appels ont été́ analysées. Ainsi, les appels représentent 81% du corpus, les tchats 10% et les questions-réponses postées sur Internet 10%. Les verbatims issus des récits d’appels des écoutants sont rédigés à la 3e personne et ceux issus des questions des internautes sont retrans- crits à la 1èrepersonne. Le stade de la grossesse est renseigné pour 58% des sollicitations étudiées et l’âge pour 84%. L’analyse de ce corpus a été́ réalisée manuellement.

Ces femmes ont en commun de connaître le message de prévention « Zéro alcool pendant la grossesse » et d’avoir consommé de l’alcool durant leur grossesse.

Trois types de sollicitations émergent : les femmes inquiètes de toute trace d’alcool absorbé (17%), les femmes qui ont bu ne sachant pas qu’elles étaient enceintes (48%) et les femmes en difficulté́ avec l’alcool (35%).

Les femmes inquiètes de toute trace d’alcool

Pour ces femmes, le message « Zéro alcool pendant la grossesse » génère une anxiété importante. Traquant la moindre trace d’alcool dans les aliments, elles sollicitent le service entre le 3e et le 7e mois de grossesse. Elles témoignent d’une inquiétude importante, se disent angoissées, tourmentées.

« Je suis enceinte de 3 mois. Je mange chaque matin une tranche de brioche… J’ai vu ce matin dans la liste des ingrédients qu’il y avait du rhum. Cela peut-il poser un problème pour le fœtus ? Quelle quantité́ d’alcool y a-t-il ? Merci pour votre réponse car je suis inquiète »

Face à ces demandes, les écoutants doivent avant tout veiller à abaisser le niveau d’angoisse de ces femmes, les rassurer. L’échange peut en rester là ou bien s’ouvrir sur l’importante anxiété qu’elles vivent durant la grossesse et qui se cristallise, à ce moment-là, autour du risque de la consomma- tion d’alcool.

Les femmes qui ont bu sans savoir qu’elles étaient enceintes

Ces femmes découvrent leur grossesse et réalisent qu’elles ont bu. Elles sont pour 90% dans le premier trimestre de la grossesse. Le plus souvent, elles ont consommé lors d’événements festifs ou durant les vacances et sollicitent le service pour connaître les conséquences de leurs consommations. Quand elles évoquent les risques, ce sont les malformations physiques qui sont nommées.

Leur discours est empreint de culpabilité́, elles se sentent fautives de ne pas avoir su qu’elles étaient enceintes, d’avoir pris un risque.

« Cette femme de 36 ans, revenant de vacances, découvre qu’elle est enceinte. Elle est complètement bouleversée car tous les jours elle a bu du vin ou du champagne. Elle n’a pas osé en parler à son gynécologue mais ce qu’elle a lu sur Internet lui fait vraiment peur… »

Terrifiées par les conséquences de leur consommation d’alcool, la question de l’interruption volontaire de grossesse est souvent évoquée, parfois associée à la question de leur désir d’enfant comme en témoignent leurs messages déposes sur Internet.

« …y a-t-il risque de malformation ? (ou autre) faut-il que j’avorte ? Merci de me répondre, j’angoisse et j’ai très peur » (femme âgée de 34 ans)

« …J’ai appris il y a une semaine que je suis enceinte et je suis perdue, déjà̀ à savoir si je peux ou pas me permettre de le garder parce que bien sûrbébé imprévu » (femme âgée de 26 ans)

La grossesse n’est en effet pas toujours attendue et la femme peut adresser plus ou moins consciemment au service la responsabilité́ de la décision.

Ces sollicitations sont les plus délicates. Il est en effet complexe de répondre aux interrogations de ces femmes concernant les risques, sans augmenter leur angoisse. Cela demande à l’écoutant de prendre du recul avec le message de prévention afin de laisser place à l’échange singulier. Il s’agit d’amener les informations avec clarté tout en restant vigilant à la façon dont l’interlocutrice les entend. S’il est rarement possible d’être tout à fait rassurant, il existe des messages positifs à délivrer qui vont donner à ces femmes des pistes d’action. Tout d’abord valoriser l’arrêt de la consommation durant toute la suite de la grossesse 2. Ensuite, encourager la femme à parler de sa consommation à un professionnel de santé. L’informer qu’il est possible de renforcer la surveillance de la grossesse notamment lors des échographies. Si aucun examen ne peut apporter la garantie d’un bébé en parfaite santé, il est possible de s’adresser à des professionnels spécialisés qui auront une vigilance accrue dans les situations de ce type 3.

Les femmes en difficulté avec l’alcool

Les femmes enceintes en difficulté́ avec l’alcool contactent Alcool Info Service généralement après le 3e mois de grossesse. Pour certaines de ces femmes, la grossesse est un moment de fragilisation susceptible de les conduire à démarrer une consommation ou à reprendre leur consommation passée.

« Cette jeune femme de 25 ans nous dit avoir besoin de boire depuis qu’elle est enceinte et ne comprend pas pourquoi. Elle ne vit pas bien sa grossesse. Elle est fatiguée et vomit… »

« Cette femme de 29 ans est en pleurs au téléphone. Elle a été́ en difficulté́ avec l’alcool… [mais]… Elle avait arrêté́ sa consommation lors- qu’elle a su qu’elle était enceinte. Elle et son ami se sont battus pendant [plusieurs années] pour que la fécondation “prenne”. Aujourd’hui, elle est enceinte de 6 mois. Depuis 2 jours, elle a à nouveau envie de boire et a “craqué”. Elle se sent très coupable et a honte… »

Pour d’autres, les difficultés qu’elles rencontrent avec l’alcool restent présentes au moment de la grossesse. Ces femmes témoignent de leur échec à arrêté de boire.

« J’ai 30 ans et je bois trop et trop souvent depuis une bonne dizaine d’année. Je suis enceinte de 4 mois, et depuis le début de ma grossesse je n’ai pas réussi à m’arrêter. Je bois une moyenne de 2 verres de vin par jour. En 2 occasions cet été́ j’ai bu 5 verres. Les risques de handicap lourd existent-ils pour mon bébé ? J’essaye de tout stopper progressivement mais j’ai peur que ce soit trop tard. Ai-je quand même une chance d’avoir un enfant normal ? »

Elles ressentent de la honte, se déprécient, se sentent coupables, cachent leur consommation. Submergées par ces émotions, elles craignent de se voir retirer l’enfant qu’elles portent. C’est un frein très important à la demande d’aide et à l’action.

Le travail mis en œuvre dans ces appels repose sur la reconnaissance de la difficulté́ de ces femmes et de leur vulnérabilité mais aussi sur l’idée positive qu’« il y a toujours quelque chose à faire »2. Il s’agit de les amener à agir selon leurs capacités.

Les informer qu’un arrêt ou une diminution de la consommation d’alcool est bénéfique pour leur enfant et pour elle à tout moment de la grossesse constitue un levier majeur. L’enjeu au cœur de ces entretiens est d’encourager les femmes à évoquer leur consommation avec un soignant. Pour ce faire, l’écoutant s’appuie sur l’expérience de parole faite au téléphone : ce qu’elles ont à dire peut être confié à un professionnel qui va les accompagner sans les juger.

Enfin, dans les cas où la femme exprime son impuissance à modifier sa consommation d’alcool, la mission des écoutants d’Alcool Info Service consiste à expliquer le bénéfice d’un suivi personnalisé pour elle et pour l’enfant à venir3. La prise de conscience de l’importance de cet accompagnement pour le devenir de son enfant peut constituer un réel moteur pour la femme et lui permettre de mobiliser ses ressources.

De ces sollicitations se dégage le sentiment de culpabilité́ et parfois de honte ressenti par ces femmes, qui est souvent à l’origine de leur réticence à parler de leurs consommations avec un professionnel. Face à ces freins, l’anonymat, l’absence de regard, la disponibilité́ qu’induit l’aide à distance, facilitent la prise de parole.

L’enjeu du travail des équipes d’Alcool Info Service est de (re)donner à ces femmes une capacité́ d’agir en fonction de leur situation et de leur possibilité́.

Au-delà̀ d’Alcool Info Service, permettre la parole de ces femmes ne peut se faire sans changer le regard posé sur elles. Sensibiliser les professionnels de santé à leur accueil est l’une des premières conditions de cette évolution.

Références

[1] Laporal S, Demiguel V, Cogordan C, Barry Y, Guseva-Canu I, Goulet V, et al. Surveillance des troubles causés par l’alcoolisation fœtale : analyse des données du programme de médicalisation des systèmes d’information en France entre 2006 et 2013. Syn- thèse. Saint-Maurice: Santé publique France; 2018. 16 p. http:// invs.santepubliquefrance.fr/Publications-et-outils/Rapports- et-syntheses/Maladies-chroniques-et-traumatismes/2018/ Surveillance-des-troubles-causes-par-l-alcoolisation-foetale- analyse-des-donnees-du-programme-de-medicalisation-des- systemes-d-information-en-France-entre-2006-et-2013

[2] RéseaupérinatalNaître et grandir en Languedoc Rous- sillon. Référentielpérinatalité & alcool. 2015; 18 p. http://www.nglr.fr/images/naitre/pdf/referentiels/addictions/Ref_OH.pdf

[3] Germanaud D, Toutain S. Exposition prénatale à l’alcool et troubles causés par l’alcoolisation fœtale. Contraste. 2017;2(46):39-102. http://www.alcool-info-service.fr/A-lire- a-voir/Notices/Exposition-prenatale-a-l-alcool-et-troubles- causes-par-l-alcoolisation-foetale

Citer cet article

Laviale L, Grouard K. Focus. Du message de prévention « Zéro alcool pendant la grossesse » à l’échange singulier : les solli- citations des femmes à Alcool Info Service. Bull EpidémiolHebd. 2019;(10-11):193-5. http://invs.santepubliquefrance.fr/ beh/2019/10-11/2019_10-11_4.html

http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2019/10-11/pdf/2019_10-11_4.pdf