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Mardi 06 Mai 2014

Les ravages de l’alcoolisme dans la société mauricienne perdurent. Malgré les campagnes de sensibilisation et les informations sur les risques que peut avoir l’alcool sur la santé, les chiffres démontrent qu’entre 250 à 300 personnes en décèdent annuellement.

Dans son Global Status Report on Alcohol and Health en 2011, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) avait attiré l’attention sur la consommation d’alcool à Maurice. Malgré le fait que le taux d’alcoolisme est inférieur à la moyenne mondiale, le nombre de décès causé par l’alcool est plus élevé à Maurice.

Chaque Mauricien de plus de 15 ans consomme 3,7 litres d’alcool pur par an. Toutefois, il est à noter que même si la consommation d’alcool est relativement plus élevée dans d’autres pays, le taux de décès reste inférieur à celui de Maurice. Selon le dernier rapport du National Economic and Social Council sur l’alcoolisme, on enregistre autour de 250 et 300 décès, par année, liés à la consommation de boissons alcoolisées. Malgré ces chiffres alarmants, il semblerait que la prévention peine à passer auprès des Mauriciens

Selon le sociologue Ibrahim Koodooruth, l’alcool est socialement acceptable à Maurice et fait partie dans notre culture. De plus, au fil des années, il est devenu un élément clé presque irremplaçable dans notre mode de socialisation. L’alcool est présent dans la plupart de nos rencontres, que ce soit entre amis ou en famille. « Les boissons alcoolisées sont très accessibles à Maurice. Il suffit de se rendre à la boutique du coin pour s’en procurer.
Par ailleurs, on note que de plus en plus de jeunes tombent dans l’alcoolisme. Pour ces derniers, la consommation d’alcool est tendance – il faut en consommer pour être ‘in’. On ne peut pas nier qu’au moins un élève est réprimandé ou renvoyé à cause de l’alcool.
On note également la pratique du Happy-Hour. Ces nouvelles habitudes des Mauriciens encouragent la consom­mation d’alcool », souligne le sociologue. Selon le sociologue, à Maurice, chez les adultes, la consommation d’alcool est devenue presque indispensable. L’alcool est toujours au rendez-vous, dans les fêtes, les mariages et autres célébrations. Il existe la mauvaise perception selon laquelle on ne peut pas passer de bons moments ou se détendre sans alcool.
« Il faut, cependant, se rendre à l’évidence que l’abus d’alcool n’est pas sans conséquence. Elle est souvent responsable de problèmes familiaux et des ruptures, voire même des cas de violence domestique. Par ailleurs, on a eu plusieurs cas où des individus ayant perdu la maîtrise de soi car ils étaient sous l’influence de l’alcool, ont commis des actes irréparables tels qu’un meurtre ou un viol », insiste-t-il.
Gérard Lesage de la National Agency for the Treatment & Rehabilitation of Substance Abuse (NATRESA), partage le même avis que le sociologue Ibrahim Koodooruth : l’alcool est une drogue dangereuse qui fait de plus en plus mal à notre pays. « Le pays se développe et il n’y a pas que des bons côtés. La femme active profite d’une liberté financière au même titre que les hommes. Certains gèrent leur argent judicieusement alors que d’autres font des excès. Les chiffres sont là pour prouver que c’est un fléau. Malheureusement cela fait beaucoup de dégâts », ajoute Gérard Lesage.

Selon les études psychologiques, l’abus de l’alcool a sans aucun doute un impact psychologique non-négligeable. Toutefois, il existe bien des raisons qui poussent une personne à sombrer dans le cercle vicieux de l’alcoolisme. Pour le psychologue Vijay Ramanjooloo, dans la plupart des cas, les gens deviennent alcooliques car ils ne parviennent pas à gérer leurs émotions. « Ces personnes ne parviennent pas à accepter que la vie soit faite des hauts et des bas.
Ainsi, pour ces gens, consommer de l’alcool les aide à mieux gérer leurs difficultés. Il ne faut surtout pas oublier les facteurs sociologiques – dès sa naissance l’enfant est exposé à l’alcool. Dans bon nombre de familles, le père ainsi que la mère boivent devant l’enfant et ce dernier est en contact permanent avec l’alcool.
Si certains réussissent après beaucoup d’efforts à vaincre leur obsession pour l’alcool, d’autres en revanche sombrent davantage alors que leur santé se détériore un peu plus jour après jour », souligne le psychologue. De son côté, Armand, ancien alcoolique et actuellement animateur à ‘Alcoolique Anonyme’, affirme qu’il existe trois types de buveurs, soit le buveur social, normal et alcoolique. Selon lui, on ne devient pas alcoolique par hasard, plusieurs facteurs font qu’une personne se réfugie dans l’alcool.
« Il existe plusieurs raisons qui poussent une personne vers l’alcoolisme, telles que la perte d’emploi, les problèmes familiaux, entre autres. Certaines personnes ont même des dépendances sévères – faute de boissons alcoolisées, elles boivent d’alcool blanc (produit qu’on utilise pour le nettoyage des vitres) avec de l’eau. Il existe des personnes qui font une rechute après une désintoxication », explique l’animateur.

L’alcoolisme n’est pas uniquement un problème masculin. Les femmes sont elles aussi concernées par ce fléau qui gangrène notre société. « La femme alcoolique boit souvent en catimini. Elle ne supporte pas le regard de la société sur elle. Cependant, contrairement aux hommes alcooliques, elle arrive tout de même au début de sa dépendance à gérer ses activités au quotidien », c’est ce que nous explique Priscilla Martial.
Selon notre interlocutrice, la femme qui boit, c’est une femme qui a le regard de la société sur elle-même. Elle boit seule, cache sa bouteille de liqueur dans la machine à laver. Au début, l’entourage ne s’en rend pas compte. « À la différence de l’homme, la femme arrive à endosser ses responsabilités d’épouse ou de mère de famille mais, au fil du temps, elle ne parvient pas à se résister à ses addictions.
Dans la plupart des cas, la famille réalise que la femme a un penchant pour l’alcool qu’après plusieurs mois », dit-elle. À son avis, la femme ne boit pas sans raison. Sa dépendance à l’alcool cache dans la plupart des cas une souffrance – l’alcool agit comme un produit anxiolytique et masque les souffrances. « Parmi les raisons qui poussent les femmes à boire figurent la solitude, la séparation, le divorce ou victime d’abus sexuel ou d’inceste dans son enfance », conclut-elle.

Il est aujourd’hui un fait que la consommation excessive d’alcool nuit à la santé. Les études ont démontré qu’on a tendance à consommer plus d’alcool ces dernières années. Toutefois, on a tendance à ignorer les effets nuisibles de l’alcool sur notre santé, selon le spécialiste en médecine interne.
« L’alcool endommage plusieurs organes, tels que le foie, le pancréas, entre autres. De plus, il est prouvé qu’il est la cause majeure de la cirrhose du foie. L’excès d’alcool peut également causer le cancer de la gorge et de la bouche, des problèmes neurologiques, une insuffisance cardiaque ainsi qu’une inflammation du pancréas. Chez la femme, problème gynécologique, troubles de règles ou même la stérilité et les problèmes psychologiques », souligne Zouberr Joomaye.
Pour sa part, le Dr Vinod Ramkoosalsing, psychiatre pour le ministère de la Santé, souligne que 35 % des patients de l’hôpital ont des complications de santé liées à l’abus d’alcool. De plus, selon les chiffres, 40 % des personnes admises à Brown-Séquard souffrent de la dépendance à l’alcool. « Chez les hommes, on note une baisse dans le nombre de patients admis pour cause d’alcoolisme. En 2009, on avait enregistré 2 673 admissions contre 1 574 en 2012.
Chez les femmes, on enregistre environ 225 cas par an alors que dans les années 90, il y avait que très peu de femmes alcooliques. L’alcool peut facilement devenir une dépendance. Il suffit de prendre un verre au même rythme pour qu’on devienne alcoolique dans l’espace de sept à dix ans. C’est en effet le cas pour 75 % des cas, chez les hommes. Les problèmes psychiatriques causés par l’alcool sont également récurrents en particulier chez les femmes », avance-t-il. Selon le psychiatre, il est très facile de se trouver des excuses pour tomber dans l’alcool.
« Certaines personnes pensent à tort que l’alcool est la solution à leurs problèmes alors qu’il est un fait qu’il ne fait qu’ajouter à leur lot. Loin d’être une solution, l’alcool cause pas mal de dégâts. Il peut mener une famille à sa perte ainsi que bousculer la vie professionnelle. Autant de situations qui entraînent beaucoup de stress nuisible pour la santé et le bien-être », conclut le Dr Vinod Ramkoosalsing.

TÉMOIGNAGES

Hushna, 49 ans : « Je buvais pour oublier la perte d’un être cher »

Hushna,  49 ans, nous livre son passé d’alcoolique et comment elle a failli tout perdre à cause de son penchant pour l’alcool. « J’ai pris mon premier verre d’alcool à l’âge de 19 ans. Toutefois, c’est suite au décès d’une personne qui m’était très chère que j’ai commencé à boire d’une façon excessive. L’alcool était la seule solution pour me faire oublier cette perte. J’ai négligé mon apparence, mon hygiène. Au lieu d’avoir un soutien, j’ai perdu tout le respect au travail ainsi que dans ma famille. J’ai également coupé tout contact avec mes proches », dit-elle.

P.R, 59 ans : « Il n’a pas pensé à notre fille »

Vivre avec un alcoolique peut être semblable à un défi au quotidien. Cette quinquagénaire confie qu’elle est au bout du rouleau avec son mari alcoolique. « Quand on s’est marié, il ne buvait jamais. Après la naissance de notre fille, il a décroché un travail à l’étranger et, après son retour, il était un homme différent.

Tout à coup, il buvait sans limites. Il s’absentait de son travail et se négligeait. D’ailleurs, il a été licencié après quelques mois et c’est là que commence notre calvaire », nous révèle-t-elle.  Son mari a dépensé pratiquement tout l’argent sur son compte bancaire avant qu’elle ne s’en rende compte. « On a tout essayé. On l’a emmené chez un psychiatre mais il ne voulait que boire dès qu’on rentrait. Mes proches ont tout fait pour l’aider mais il avait déjà sombré complètement dans l’alcool.

Le pire c’est qu’il n’a pas pensé à notre fille. Cette dernière ne pouvait pas voir son père dans cet état. Au fil de quelques années, son état s’est aggravé et il demandait de l’argent pour acheter des boissons alcoolisées. La situation a été ainsi pendant plusieurs années jusqu’à ce qu’il commence à consommer l’alcool blanc. Les conséquences ont été certes très graves sur son état de santé et il est décédé quelques mois plus tard », raconte-t-elle.